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Le chef du groupe de l’État islamique Abou Bakr al-Baghdadi a appelé ses partisans à poursuivre le djihad dans un nouveau message diffusé mercredi 22 août sur Telegram. Dans son nouvel appel, le calife apostrophe ses adeptes à frapper les ennemis en Occident en menant de nouvelles attaques à l’explosif ou à l’arme blanche. Le dernier message sonore attribué à Abou Bakr al-Baghdadi remontait au 28 septembre 2017 dans lequel l’émir appelait ses combattants à résister en face à l’ennemi après les défaites militaires en Irak et en Syrie. Abou Bakr al-Baghdadi, donné pour décédé à plusieurs reprises, serait donc encore vivant.

La communauté internationale l’a découvert le 29 juin 2014, lorsqu’il a proclamé le califat de l’État islamique en Syrie et en Irak, lors d’une de ses rares apparitions publiques à la mosquée de Mossoul. À l’inverse de l’ancien numéro un d’al-Qaïda Oussama Ben Laden, le maître de Daech a toujours entretenu un lourd mystère autour de sa personne1. Son apparition et ses énonciations d’une demi-heure à la mosquée de Mossoul avaient déjà fait l’objet de dispositifs draconiens, comme l’a raconté un témoin à l’hebdomadaire Newsweek : « à la minute où al-Baghdadi est arrivé, le réseau mobile a été coupé. Des gardes armés ont bouclé la zone. Ils ont fermement demandé aux participants de ne saisir aucune photo ni vidéo et de ne pas quitter la mosquée une demi-heure après le départ du calife ».

Que sait-on du calife de Daech ?

La carrière de jihadiste d’Abou Bakr al-Baghdadi semblerait très rapide. En 2004, il est arrêté par l’armée américaine pour s’être rendu chez un ami recherché. Le futur émir est alors envoyé vers le Camp Bucca, lieu de détention où l’administration d’occupation américaine retenait les Irakiens suspects. Selon de nombreux témoignages d’anciens détenus, le Camp de Bucca a été une véritable académie du djihadisme. En 2006, Abou Bakr al-Baghdadi est libéré et il prend contact avec des hommes d’Al-Qaïda en Irak. Les mêmes lui suggèrent de partir à Damas. Dans la même année, il rejoint l’État islamique d’Irak qui vient d’être créé par plusieurs groupes jihadistes, dont al-Qaïda. En 2010, il en devient le chef2. Au mois d’octobre 2011, Washington le désigne d’une manière officielle comme “terroriste”, offrant une récompense de 10 millions de dollars pour avoir des indications qui pouvaient conduire à son arrêt. En 2013, l’organisation commence à participer aux combats sur le territoire syrien et change de nom pour devenir l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL). En 2014, Abou Bakr al-Baghdadi proclamant l’État islamique en Irak accède à la notoriété de la communauté internationale.

Mais on sait toujours très peu sur l’identité d’al-Baghdadi et sur sa vie privée. Selon des sources syriennes et irakiennes, la vie privée du calife qui dirige la plus sinistre des organisations terroristes de l’époque contemporaine est méconnue non seulement en Occident, mais également parmi les membres de son organisation. On sait par exemple peu de choses sur les femmes d’Abou Bakr al-Baghdadi avec lesquelles il a vécu. En 2016, une de ses femmes qui s’appelait Diane Kruger s’est enfuie. Dans le califat, Diane Kruger était la responsable de la vie quotidienne des femmes. Elle formulait les préceptes de leur comportement selon les normes de la charia et dirigeait leurs habitudes. En outre, elle veillait à ce que les femmes n’apparaissent pas en public sans être accompagnées par un homme et sans porter une tenue suffisamment humble. Le travail de Diane Kruger avait également une composante militaire: elle dirigeait un centre de formation de femmes kamikazes à Kirkouk en Irak.

Al-Baghdadi et Diane Kruger, femme d’origine allemande, se sont mariés en octobre 2015, mais on ignore à présent les causes de la discorde entre les deux individus. L’autre épouse parmi les plus connues d’al-Baghdadi a été Saja al-Dulaimi, surnommée “la calife” pour son influence dans le monde djihadiste. Le mariage, célébré en 2009, n’a duré que trois mois. Saja condamne aujourd’hui le terrorisme, mais elle a été incarcérée un an par les autorités libanaises qui la soupçonnaient d’avoir maintenu des relations avec son ex-mari.

Les neuf vies d’Abou Bakr al-Baghdadi

En juin 2017, Moscou avait communiqué d’avoir probablement tué Abou Bakr al-Baghdadi par un raid de son aviation près de Raqqa, l’ancienne capitale de DAECH en Syrie. Selon la porte-parole du Kremlin, le raid avait eu lieu à la fin du mois de mai 2017. Au mois de février 2018, au contraire, un haut responsable du Ministère de l’Intérieur irakien affirmait que le chef de Daech était encore vivant et soigné dans un hôpital de campagne dans le nord-est de la Syrie parce qu’il était blessé. À ce sujet, le directeur du service de renseignement et du contre-terrorisme irakien Abou Ali al-Basri déclarait au quotidien As Sabah (le 12 février 2018): «Nous avons des informations indubitables et des documents de sources au sein de l’organisation terroriste selon lesquelles Abou Bakr al-Baghdadi est toujours vivant et se cache dans la région de la Jaziré».

Dans la même interview, le directeur Abou Ali al-Basri déclarait en outre que le chef djihadiste souffrait « de diabète et de fractures au corps et aux jambes qui l’empêcheraient de marcher sans assistance. Ces blessures seraient dues à des raids aériens contre les fiefs de l’État islamique en Irak». Pour le service de renseignement américain, Abou Bakr al-Baghdadi pourrait se cacher probablement dans la vallée de l’Euphrate, dans l’est de la Syrie. Enfin, au mois de juillet 2018, les services de renseignement irakiens avaient annoncé que le chef de Daech avait perdu son fils Houdhayfah al-Badri, tué en Syrie par trois missiles téléguidés russes.

L’évolution de Daech : d’une structure proto-étatique à un réseau secret

Mais à présent le pari ne serait plus de localiser Abou Bakr al-Baghdadi. L’évolution de Daech d’une structure proto-étatique à un réseau secret est désormais une réalité. Comment la communauté internationale pense-t-elle agir ? Malgré la défaite en Irak et en Syrie, les finances et la richesse économique de Daech au Moyen-Orient restent encore bien consistantes. Cette richesse est devenue à présent plus difficile à détecter et à analyser maintenant que l’État islamique est devenu une organisation clandestine. Un nouveau dossier des Nations Unies sur Daech, présenté par Vladimir Voronkov devant le Conseil de sécurité, atteste qu’à présent le nombre total des combattants de l’État islamique en Iraq et en Syrie serait estimé à plus de 20 000 terroristes, répartis à peu près également entre les deux pays. Selon le haut responsable onusien, cette petite armée de Daech devrait réussir à survivre en Iraq et en Syrie à moyen terme en raison du conflit en cours en Syrie et par les problèmes complexes de stabilisation en Irak. Le dernier rapport analyse également le retour des combattants terroristes étrangers dans leur pays d’origine. Ces retours, bien plus lent du prévu, poseraient d’autres sérieux problèmes. « L’un des dangers les plus importants résiderait dans les compétences militaires acquises dans les zones de conflit pour préparer des engins explosifs improvisés et pour transformer des drones en engins armés».

Daech se féminise

Le rapport n’analyse pas toutefois le rôle militaire, logistique et d’espionnage des combattantes de Daech. Jusqu’à présent, l’organisation terroriste utilisait principalement les femmes au sein d’Al-Khansaa, sa fameuse milice entièrement féminine implantée à Mossoul (Irak) et à Raqqa (Syrie). Sa mission : surveiller les femmes et punir celles ne respectant pas les préceptes de l’organisation. Mais récemment Nada al-Qahtani3 (selon des informations de la chaîne télé Al Arabiya) aurait été nommée à la tête d’un bataillon 100% féminin en Syrie par Abou Bakr al-Baghdadi. Ce bataillon d’un nouveau genre serait à présent déployé dans le nord-est de la Syrie. Tout ça, il serait un autre signe de l’évolution de la présence féminine à l’intérieur de l’organisation surtout dans le combat actif.  En Lybie, ce rôle actif est devenu désormais une réalité. À Sabratha, par exemple, une localité située à l’ouest de Tripoli, des combattantes de Daech ont participé aux combats. Dans ces actions militaires, trois femmes ont été tuées et au moins sept autres ont été arrêtées. Toutes étaient originaires de Tunisie.

Comment se défendre alors de ces menaces ? Comment contraster l’évolution rapide de Daech? « La coopération internationale, le partage d’informations et le renforcement des capacités sont essentiels», a souligné Vladimir Voronkov. Les combattants terroristes étrangers déjà incarcérés posent enfin un autre risque potentiel de radicalisation d’autres détenus dans les prisons où ils se trouvent. Des efforts supplémentaires seraient donc nécessaires en matière de sécurité dans les prisons.

Antonio Torrenzano

Bibliographie numérique :

-Kader A. Abderrahim, Jean Dufourcq, « Daech : Histoire, enjeux et pratiques de l’Organisation de l’État islamique», Paris, IreMMO, 2017. http://iremmo.org/rencontres/controverses/daech/

– Scott Atran, « L’État islamique est une révolution», Paris, Les Liens qui libèrent, 2016;

– Patrick Cockburn, «Le retour des djihadistes. Aux racines de l’État islamique», Paris, Équateur éditions, 2014;

– Pierre Conesa, François Bernard Huyghe et Margaux Chouraqui, « La propagande francophone de Daech : la mythologie du combattant hereux», Paris, FMSH éditions, 2016. http://www.fmsh.fr/sites/default/files/rapport_propagande_bdef.pdf

– Pierre-Jean Luizard, « Le piège Daech. L’État islamique ou le retour de l’Histoire», Paris, La Découverte, 2015;

– L. Napoleoni, « L’État islamique. Multinationale de la violence», Paris, Calmann-Lévy, 2015 ;

– Ph. Bannier et F. Balanche, « L’État islamique et le bouleversement de l’ordre régional», Paris, édition du Cygne, 2015 ;

– O. Hanne et Th. Flichy de la Neuville, «L’État islamique. Anatomie du nouveau califat», Paris, 2014;

– NATO Strategic Communications Centre of Excellence, « Daesh recruitment. How the group attracts supporters », Riga, NATO StratCom COE press, 2016. https://www.stratcomcoe.org/download/file/fid/6851

Notes bibliographiques :

1 Abou Bakr al-Baghdadi, dont le vrai nom est Ibrahim Awwad Ibrahim Ali al-Badri, serait né à Samarra, au nord de l’Irak, en 1971. Après avoir effectué son service militaire au sein des troupes de Saddam Hussein, Abou Bakr al-Baghdadi se serait installé à Bagdad à l’âge de 18 ans pour étudier. Certaines sources affirmeraient qu’il aurait alors commencé à officier en tant qu’imam. Les origines de sa radicalisation restent toutefois incertaines. Selon certains analystes, il était déjà un militant jihadiste sous le régime de Saddam Hussein; pour d’autres, il se serait radicalisé après l’arrivée des troupes américaines en 2003, contribuant à créer le groupe terroriste “Jamaat Jaish Ahl al-Sunnah wal Jamaa”.

Daech s’affranchira progressivement d’al-Qaïda, cherchant notamment des sources de financement autonomes, jusqu’à devenir officiellement autonome en 2013.

3 Selon les informations de la chaine télé Al-Arabya, Nada al-Qahtani est décrite comme une femme ayant un fort caractère et une volonté inébranlable. Elle jouerait déjà un rôle important dans la propagande du groupe auprès de combattantes étrangères. En 2015, selon le MI6 (le Service de renseignements anglais), 60 ressortissantes britanniques auraient rejoint Daech, mais on sait également que d’autres Européennes (Françaises, Allemandes, Belges et autres) ainsi que des femmes originaires des anciennes républiques soviétiques combattraient dans les rangs de l’organisation terroriste. Un nombre très difficile à dénombrer.

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À Taormine, commence ce matin la première journée du G7. Le premier ministre italien Paolo Gentiloni a déclaré hier à la presse que cette réunion ne sera pas simple pour les thèmes qui seront abordés, mais la présidence italienne s’efforcera de rendre cette rencontre très utile et capable de trouver des positions diplomatiques communes et efficaces. De sa part, le conseiller économique américain Gary Cohn, en discutant avec les journalistes qu’ils se trouvaient au bord de l’avion présidentiel pendant le vol de Bruxelles à la base militaire américaine de Sigonella, a expliqué que les discussions au sommet de Taormine, elles seront des raisonnements “very robust”. Des pourparlers d’une certaine importance, en particulier sur deux dossiers cruciaux: le climat et le commerce.

Lutte contre le terrorisme, sécurité internationale, politique étrangère, confrontation sur les différentes zones de crise dans le monde, mais aussi en clair-obscur le phénomène des migrations en Méditerranée et le grand nombre de réfugiés qui fuient jour après jour du Proche-Orient et du Continent africain par la Lybie. Sur ce dernier sujet, le G7 devra reconsidérer et repenser de manière plus efficace ses relations avec le Continent africain. Aux réunions participeront également l’Union Européenne et d’autres organisations internationales dont l’ONU et le FMI.

Aujourd’hui, le sommet s’ouvrira avec la cérémonie et la photo de famille au théâtre grec de Taormina. Puis, à 12h30 commencera pour les leaders la première session de travail près de l’hôtel San Domenico. Les First ladies, au contraire, seront engagées dans un programme charnu qui prévoit un tour en hélicoptère sur le volcan Etna et le déjeuner à Catane dans le siège de l’Hotel de ville avec Enzo Bianco. À 19h00, il suivra le concert de l’orchestre philharmonique La Scala au théâtre grec, et à 20h.00, le dîner des leaders politiques avec le président de la République italienne Sergio Mattarella à l’hôtel Timeo.

Antonio Torrenzano

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syrian_war_imageVienne accueillera, les 16 et 17 mai, les ministres des Affaires étrangères d’une vingtaine de pays qui participeront à une réunion du Groupe international de soutien à la Syrie. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies et 15 d’autres États, dont l’Iran, examineront les possibles et nouvelles solutions afin de régler la crise syrienne et celle en Libye. Mardi, le groupe international de soutien à la Syrie se réunira donc pour tenter, une fois de plus, de relancer un processus politique de paix en panne.

En ce qui concerne la Syrie, seront présents aux réunions les ministres des Affaires étrangères des cinq PAYS permanents du Conseil de sécurité (Chine, États-Unis, France, Grande-Bretagne et Russie) ainsi que les ministres des Affaires étrangères d’Allemagne, d’Arabie saoudite, d’Égypte, des Émirats arabes unis, d’Iran, d’Irak, d’Italie, de Jordanie, du Liban, d’Oman, du Qatar et de Turquie. Au contraire dans les réunions consacrées aux évolutions de la Libye, seront également présents les ministres des Affaires étrangères de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie.

Le chef de la diplomatie américaine John Kerry a eu ce dimanche en Arabie saoudite des conversations centrées sur la crise syrienne avant les discussions diplomatiques de Vienne. John Kerry a analysé avec le roi Salmane la situation en Syrie, en Libye selon le point de vue du département d’État américain. Sa rencontre avec le prince héritier Mohammed ben Nayef a été dominée par “la lutte contre le terrorisme”, selon l’agence officielle saoudienne SPA. Les rencontres dimanche ont eu lieu à Jeddah, ville portuaire de l’ouest de l’Arabie saoudite qui sert de capitale d’été au royaume.

Les réunions de Vienne auront lieu au moment où la Russie et les États-Unis se sont engagés à redoubler d’efforts pour aboutir à un règlement politique du conflit. Si Moscou s’est engagé à faire pression sur le régime de Damas pour limiter ses bombardements; Washington a de son côté promis d’augmenter le soutien à ses alliés régionaux pour les aider à empêcher le mouvement des combattants, des armes ou des moyens de soutien financier aux organisations terroristes à travers leurs frontières, selon la déclaration commune de la Russie et des États-Unis, publiée le 9 mai.

Sur le terrain, la situation s’est dégradée. Daech, tout d’abord, est reparti à l’offensive. Reprise par les Russes et l’armée syrienne fin mars 2016, la ville de Palmyre est de nouveau encerclée par DAECH qui, cette semaine, a coupé l’une des routes reliant la cité antique à Homs. Plus à l’est, à Deir ez-Zor, les djihadistes se sont emparés d’un hôpital en tuant 20 membres des forces pro-régime et prenant en otage l’équipe médicale. Ils contrôlent 60 % de la ville. En Irak également, la situation laisse peu de place à l’optimisme : mercredi, trois attentats ont tué 94 personnes à Bagdad. Quant à la grande offensive qui vise à reconquérir Mossoul, tombée aux mains des djihadistes il y a bientôt deux ans, elle stagne. En attendant de possibles et nouvelles réponses, ce sont encore les populations qui paient le prix de ce meurtrier statu quo.

Antonio Torrenzano

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Deux ans après le début du « printemps arabe », la situation politique dans la Rive-Sud de la Méditerranée demeure instable et fragile. Le « printemps arabe » a connu son déclenchement en Tunisie suite à l’immolation de Mohamed Bouazizi, un vendeur de légumes de la localité de Sidi Bouzid. Si les évènements qui ont suivi, ils ont ouvert la voie à la chute de plusieurs dictateurs comme le président Ben Ali, Mouammar Kadhafi en Lybie, ou encore le pharaon égyptien Hosni Moubarak, le bilan démocratique des révolutions arabes reste encore contrasté. À l’exception de l’Algérie, dont le système politique a su profiter de la manne pétrolière pour calmer la protestation sociale et du Maroc, qui a engagé une transformation constitutionnelle débouchant sur un partage du pouvoir exécutif, les autres pays de la façade sud-méditerranéenne de l’Afrique sont tous aux prises avec des situations instables et fragiles. Mais, pour ces États les défis restent toujours les mêmes comme il y a deux ans.

 

Le défi de la démocratisation. Si les révolutions ont rappelé les aspirations au changement politique de populations qui réclament à présent un processus de modernisation sur le long terme, comme l’accès croissant à l’éducation, la mutation de la famille ou des comportements individuels, les résultats des élections n’ont pas montré la construction d’une nouvelle et singulière modernité proprement arabe. Une modernité qui peut conjuguer le culte religieux et les nouvelles revendications politiques et culturelles des populations sans aucune fracture sociale. Les femmes ont pris une part active au printemps arabe à la fois sur Internet et dans les rues. Que ce soit en Tunisie, au Maroc et en Égypte ou encore en Libye, au Yémen et en Syrie, elles ont montré une aspiration à la liberté et à l’égalité aussi grande et aussi déterminée que celle des hommes. Mais, deux ans après le déclenchement du printemps arabe, le combat des femmes pour la liberté et pour l’égalité semble entravé par des forces classiques un peu partout. Les femmes arabes sont confrontées au paradoxe de sociétés tiraillées entre l’appel de la modernité et la revendication identitaire.

 

Le défi économique est le deuxième aspect. « Plus de misère, plus de chômage », criait un jeune de la ville de Sidi Bouzid en mettant fin à ses jours en s’électrocutant au contact de lignes de hautes tensions après avoir escaladé un poteau sur la voie publique au début de la révolution. Sans modernisation économique et sociale, sans attention aux attentes concrètes de la jeunesse, les réformes politiques ne pourront pas suffire à produire des perspectives d’avenir et d’espoir. Derrière les revendications politiques et démocratiques, le défi du développement demeure omniprésent. D’une part en effet, son échec est au coeur des bouleversements politiques. D’autre part, ne pas répondre aux attentes économiques et sociales empêchera toute stabilisation durable en alimentant les mécontentements et les frustrations. Les faiblesses des économies maghrébines et les inégalités sociales constituent la toile de fond des revendications populaires au Maghreb.

 

Les institutions publiques de ces pays devront remettre en question leurs modèles de développement avec un renforcement de la lutte contre la corruption. Corruption qui reste encore à présent délétère. À plus court terme, la gouvernance et la lutte contre la corruption et la prédation devraient être au coeur des réformes attendues, aussi bien pour attirer les investisseurs étrangers et pour répondre au désir de justice sociale des populations. Mais pour sortir des effets, la lutte contre la corruption devra s’appuyer sur une nouvelle méthodologie locale. Obtenir, par exemple, que la corruption cesse tout de suite en Lybie, en Tunisie, en Égypte ou en Algérie, c’est s’attaquer à un équilibre complexe et collaboratif qui implique de mobiliser durablement différentes catégories d’acteurs de l’action publique. En Algérie par exemple, le gouvernement a refusé dans ces dernières années de coopérer avec l’Association algérienne de lutte contre la corruption, affiliée à Transparency International.

 

L’enjeu économique reste important et prioritaire autant que le défi d’une amélioration des politiques sociales. Les jeunes sont particulièrement touchés par ces blocages. En septembre 2012, le chômage en Tunisie était de 44%, mais environ deux fois plus élevé chez les moins de 25 ans. Dans la région, outre cet écart entre le chiffre du chômage des jeunes et d’autres catégories de la population, la discrimination opère à deux autres niveaux : les diplômés universitaires sont moins employés que les travailleurs non qualifiés. Le printemps arabe a fragilisé, à des niveaux divers, les économies de la région et les effets négatifs se feront surtout sentir dans les années à venir. Ce constat impose à Tunis comme au Caire en passant par Tripoli autant que pour la même Union européenne des solutions urgentes. De nouveaux regards à cette situation inédite.

 

Les Européens sont les premiers partenaires économiques des États maghrébins et cette inattendue évolution politique dans la région sud impose de renouveler leur approche. Les échanges commerciaux des pays de l’Union du Maghreb avec l’Union européenne représentent entre 60 et 70% de leur commerce extérieur, les échanges intra-maghrébins ne représentent que 2%, avec pour conséquence une perte estimée à deux points de croissance économique, soit plus de 10 milliards de dollars pour l’ensemble de la région. L’Europe devrait soutenir une relance politique et économique de la coopération intra-maghrébine par l’Union du Maghreb arabe (UMA) et une coopération économique et sociale encore plus étroite entre les deux rives de la Méditerranée.

Pourquoi alors l’Union du Maghreb arabe demeure-t-elle encore dans un horizon d’attente ? Pourquoi l’Union européenne n’a-t-elle pas encore développé un nouveau partenariat euro-méditerranéen ? Le déblocage de financements du partenariat euro-méditerranéen ne constitue qu’un aspect du renforcement des liens entre les deux rives de la Méditerranée. Derrière ces questions économiques et financières, les relations euro-méditerranéennes ont besoin d’un nouveau chantier, d’un horizon pouvant mobiliser non seulement les décideurs, mais aussi les populations des deux rives. Pour cela, une approche mondiale s’impose, un nouveau projet géopolitique régional, une approche qui tiendra compte des trois défis que les pays et les peuples du Maghreb ont voulu relever par leur Printemps arabe.

Antonio Torrenzano