À Alep, le régime de Damas et les rebelles sont en train de se jouer la destinée finale du conflit.
Pour le régime de Damas, reprendre l’insurgée d’Alep représenterait une victoire de Bachar Al-Assad depuis cinq ans de guerre, comme pour la Russie, engagée en Syrie depuis septembre 2015. La victoire pourrait porter un coup irréversible aux rebelles soutenus par l’Occident, qui se trouveraient chassés de tout centre-ville majeur et marginalisés dans le Nord face aux forces djihadistes. En outre, la victoire pourrait servir à Damas et à Moscou comme moyen de pression dans les prochaines négociations internationales qui pourraient reprendre alors très bientôt. Sur le terrain, les forces syriennes du président Bachar Al-Assad sont appuyées par des forces iraniennes et des miliciens chiites étrangers, et dans les airs par l’aviation russe qui a pris le contrôle total depuis le mois de juillet de la dernière route d’approvisionnement des quartiers de l’est d’Alep aux mains des rebelles. Cette route, dite “Route du Castello”, unit la ville à des zones rurales tenues par les rebelles au nord et à la frontière turque. Entre 250.000 et 300.000 civils s’y trouvent aujourd’hui pris au piège, selon les Nations unies.
En revanche, pour les rebelles, qu’ils n’ont jamais réussi à prendre la commande définitive d’une seule région du pays en continuité avec les zones frontalières, contrôler Alep constituerait un saut qualitatif, une chance de continuer la guerre, sinon le jeu pour eux serait terminé ! Alep était la capitale économique et la deuxième grande métropole syrienne. Si Alep échappe aux rebelles, aucun autre territoire d’une telle importance, aucune autre ville syrienne ne pourraient désormais faire leur affaire ! Sortir du piège du siège pourrait donc constituer pour les rebelles une chance de continuer de manière différente la guerre. Même la Turquie veut la victoire des bandes armées à Alep, ce qui lui permettrait de justifier sa politique étrangère opaque et non transparente et pour d’autres intérêts stratégiques. En effet, il ne faut pas oublier qu’en raison de sa situation stratégique et de sa proximité avec l’Anatolie, la ville d’Alep a beaucoup compté sous domination ottomane. À l’époque, elle était déjà la deuxième grande métropole de l’Empire après Constantinople, le premier centre de commerce entre l’est et l’ouest, et si les ambassades occidentales étaient basées à Istanbul, la ville d’Alep a toujours été le siège des missions consulaires. Sans oublier non plus que le « Traité de Sèvres », conclu au mois d’août 1920 entre les alliés et l’Empire ottoman, rattachant Alep et sa région à la Syrie, fut refusé par Mustafa Kemal Ataturk qui l’annexa tout comme il annexa l’Anatolie et l’Arménie.
Le conflit à Alep n’est pas éclaté pour une division religieuse entre les rebelles et les factions pro-régime de Damas, mais principalement sur des divisions sociales et sur un clivage historique entre populations urbaines et rurales. C’est pour cette raison que l’insurrection anti-Assad dans l’ouest d’Alep a été toujours inexistante. Le régime de Damas applique une stratégie de siège comparable à celle qu’ont connue pendant plus de deux ans et demi les habitants de Homs.
Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, s’est dit samedi consterné par l’escalade militaire dans la ville d’Alep, en Syrie, qui fait face, selon lui, « aux bombardements les plus intenses depuis le début du conflit syrien ». Selon la presse, un véritable déluge de feu s’est abattu depuis deux jours sur les quartiers rebelles d’Alep que les forces du gouvernement syrien, soutenu par la Russie, tentent de reprendre. Mercredi, lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU consacrée à la situation en Syrie, Ban Ki-moon avait exhorté les membres du Conseil des Nations Unies à user de toute leur influence pour rétablir le cessez-le-feu dans ce pays, permettre le retour de l’aide humanitaire et remettre le processus politique sur les rails pour «sortir les Syriens de l’enfer dans lequel ils sont pris au piège».
La bataille d’Alep reste toutefois décisive pour les deux acteurs au sol. Rien à l’horizon ne suggère une autre conclusion. La tragédie syrienne nous déshonore, mais elle est un sérieux échec de la communauté internationale occidentale.
Antonio Torrenzano